De 2014 à 2018, de part et d’autre du Rhin, les commémorations se sont succédées pour le centenaire d’une guerre qui devait être "la Der des Der". Mais cette nécessaire mémoire commune de nos divisions passées suffit-elle à consolider notre entente franco-allemande ? Par delà nos similitudes, ne faut-il pas s’interroger sur nos différences, apprendre à mieux fonctionner de conserve et éviter les malentendus ? Bref, comment conclure ?

Hans Herth a d’abord rappelé les épisodes guerriers à l’origine du « mythe » de l’ennemi héréditaire : les cinq invasions allemandes , successivement en 1792 contre la jeune République, en 1815 contre Napoléon, en 1870 contre Napoléon III (et pour l’unité allemande), en 1914  contre on ne sait pas exactement quoi, enfin en 1940, clairement contre l’ordre démocratique. Mais, avant ces cinq invasions successives, c’était la France qui s’était régulièrement promenée en territoire germanique. Sur les 27 conflits franco-allemands depuis la Renaissance, la France était venu 23 fois en Allemagne, alors que les Allemands n’avaient foulé le sol français qu’au cours des cinq dernières guerres,… celles dont on se souvient. Ainsi, jusqu’à la défaite de Waterloo, la France avait été la nation guerrière d’Europe par excellence et avait régulièrement envahi tous ces voisins. 
 
Puis remontant plus loin le cours de notre histoire, jusqu’à la division de l’Empire Romain, il a montré comment l’histoire guerrière de l’Europe a été rythmée par des guerres intestines entre grandes et petites dynasties européennes, royales et ducales, pour l’essentiel d’origines germaniques, qui s’étaient attribuées les morceaux de l’ancien Empire Romain et ont progressivement consolidé et étendu leurs fiefs devenus héréditaires à partir du Xe siècle. Dans toutes ces « disputes familiales », nos Nations, telles que nous concevons depuis le débit du 19e siècle, n’étaient pas réellement concernées.
 
 
L’ascension et la puissance de ces familles remonte au rôle que leur ont fait jouer Constantin, puis le très catholique Théodose dans leur tentative de parachever l’unité romaine contre les tentations fédéralistes des différentes provinces antiques. Ces deux empereurs ont eu recours aux armées auxiliaires germaniques stationnées aux frontières (la moitié des forces armées de l’Empire au 4e siècle de notre ère) pour les sédentariser à l’intérieur de l’Empire et en faire des forces de police politique interne. Mais, les Ducs germaniques qui commandaient ces grandes compagnie sécurité impériale, s’estimant mal payés de leurs services par un Empire appauvri, se sont révoltés et partagés l’Empire en divers royaumes (Wisigoths, Ostrogoths, Burgondes, Alamans, Vandales,...). Ils étaient tous de confession chrétienne arianiste et refusaient toute autorité politique suprême à l’Empereur catholique de Rome. A leurs yeux l’ancien Empire était la communauté spirituelle européenne majoritaire, celle des catholiques, régie par un prêtre supérieur, le souverain Pontife, auquel ils devaient certes leur protection, mais tout autant qu’à toutes les autres communautés religieuses présentes dans l’ancien empire romain et dont ils avaient réglementé la coexistence pacifique.
 
En marge de cette nouvelle gouvernance fédérale, un groupe de germaniques mal placés dans ce grand dépeçage de l’Empire, les « insoumis » ou « Francs », unis par le chef de guerre Clovis, ont repris à leur compte l’idée d’une unité romaine catholique et absolue  pour s’assurer le soutien des villes, évêques et populations chrétiennes et tenter de restaurer un Empire romain constantinien, uni et centralisé.
C’est cette opposition entre deux conceptions de l’Europe, d’un côté une union de peuples fédérés, de l’autre un règne centralisé sous l’autorité d’une monarchie dynastique, qui sera à l’origine de l’opposition entre la Constitution du Saint Empire Romain des Ducs germaniques face la monarchie carolingienne revendiquant l’autorité sur l’Europe. Cette volonté française d’unité romaine portée d’abord par Clovis et Charlemagne, puis par la Monarchie dynastique à la tête de l’Empire franc (le bien nommé « Frankreich »), s’est brisée avec la chute de la dernière tentative de règne impérial et dynastique sur l’Europe, celle de Napoléon Ier.
 
Notre effort actuel d’unir l’Europe des Nations (issue de la Révolution française et la chute de Napoléon) se heurte encore et toujours - et ce malgré le tandem franco-allemand - à cette opposition de deux conceptions de l’Europe future, la fédéraliste des Allemands pro-européens et celle des Français qui « rêvent » de l’unité d’un Etat européen qui, plus qu’un « Bund », prendrait modèle sur une unité de type jacobin.
 
Cette différence est profonde. Elle sera difficile à surmonter. Elle s’est enracinée dans l’histoire parce qu’elle repose aussi sur deux Europes de natures radicalement différentes, une Europe méditerranéenne et atlantique, naturellement riche et impériale, face à une Europe continentale, fractionnée en territoires cloisonnés aux maigres ressources et dont le long passé de pénuries a engendré un ensemble de solidarités politiques, locales et régionales, ainsi qu’à une une société plus industrielle qu’agricole, au mains d’une bourgeoisie radicalement opposée à l’élitisme aristocratique et aux principes des hiérarchies politiques de l’Europe latine.
Du point de vue du conférencier, c’est aux Français qu’il revient l’effort de renouer avec les racines fédéralistes de l’Europe, par delà  l’histoire ratée de l’utopie « unitariste romaine » de leurs Rois, Empereurs et Présidents de la République successifs, depuis Clovis jusqu’à aujourd’hui.
 

 

Peut-être pourrait-on déjà commencer par gommer la différence entre les manières de cultiver nos mémoires officielles : le 11 novembre, la France continuent à célébrer d’abord leur victoire et leurs héros tombés au combat, tandis qu’« Volkstrauertag » allemand (deux dimanches avant le premier de l’Avent) on se recueille autour de la mémoire de tous les morts sans exceptions, à la fois militaires et civils, de toutes les guerres entre les hommes, bien au delà des soldats français et allemands morts durant la « Grande Guerre ».

 

Cet exposé sur les modes constitutifs de notre Europe a entrainé plusieurs questions d'un public très intéressé par cet exposé qui permettait de comprendre des périodes mal connues et mal expliquées de nos histoires communes. La discussion s'est poursuivie encore une heure autour du verre de l'amitié.